Frédéric de Hohenstaufen, né le à Jesi près d'Ancône et mort le à Fiorentino, voisine de Torremaggiore et de San Severo en Capitanate[1], est empereur des Romains de 1215 à 1250 sous le nom de Frédéric II. Il est aussi roi des Romains, roi de Sicile, roi de Provence-Bourgogne (ou d'Arles), et roi de Jérusalem. Au cours de son règne, il connaît des conflits permanents avec la papauté et se voit excommunié par deux fois, le pape Grégoire IX n'hésitant pas à le désigner comme « l'Antéchrist ».
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Frédéric II | |
![]() Frédéric II et son faucon représentés dans son livre De arte venandi cum avibus (De l'art de chasser au moyen des oiseaux). | |
Titre | |
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Roi de Sicile | |
– (52 ans et 16 jours) |
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Prédécesseur | Constance Ire |
Successeur | Conrad Ier |
Duc de Souabe | |
– | |
Prédécesseur | Othon IV |
Successeur | Henri II |
Roi des Romains | |
– | |
Avec | Henri II de Souabe (1220-1235) Conrad IV (1237-1250) |
Prédécesseur | Otton IV |
Successeur | Conrad IV |
Empereur du Saint-Empire | |
– | |
Prédécesseur | Otton IV |
Successeur | Grand interrègne |
Roi de Bourgogne-Provence | |
– | |
Roi consort de Jérusalem | |
– (2 ans, 5 mois et 15 jours) |
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Prédécesseur | Jean de Brienne |
Successeur | Élisabeth de Bavière |
Biographie | |
Dynastie | Hohenstaufen |
Date de naissance | |
Lieu de naissance | Jesi |
Date de décès | (à 55 ans) |
Lieu de décès | Fiorentino, Foggia (Pouilles) |
Sépulture | Cathédrale de Palerme |
Père | Henri VI du Saint-Empire |
Mère | Constance de Hauteville |
Conjoint | Constance d'Aragon (1209 – 1222) Isabelle II de Jérusalem (1225 – 1228) Isabelle d'Angleterre (1235 – 1241) Bianca Lancia (1246) |
Enfants | Avec Constance d'Aragon Henri II de Souabe ![]() Avec Isabelle II de Jérusalem Conrad IV ![]() Avec Isabelle d'Angleterre Marguerite de Sicile Avec Bianca Lancia Constance de Hohenstaufen Manfred Ier de Sicile ![]() Illégitimes : Frédéric d'Antioche Enzio de Sardaigne |
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Locuteur d'au moins six langues — il parle le latin, le grec, le sicilien, l'arabe, le normand et l'allemand[2] —, Frédéric accueille à sa cour des savants du monde entier, porte un grand intérêt aux mathématiques et aux beaux-arts, se livre à des expériences scientifiques (parfois sur des êtres vivants) et édifie des châteaux dont il trace parfois lui-même les plans. En raison de ses bonnes relations avec le monde musulman, il mène à bien la sixième croisade — la seule croisade pacifique — et est le second seigneur d'Occident à reconquérir les lieux saints de la chrétienté, après Godefroy de Bouillon.
Dernier empereur de la dynastie des Hohenstaufen, Frédéric devient rapidement une légende. De ses contemporains, il reçoit, sous la plume de Matthieu Paris, les surnoms de Stupor mundi (la « Stupeur du monde ») et de « prodigieux transformateur des choses », au point qu'on attendit son retour après sa mort. Dans la conscience collective, il devint « l'Empereur endormi » dans les profondeurs d'une caverne, celui qui ne pouvait avoir disparu, celui qui dormait d'un sommeil magique dans le cratère de l'Etna[3]. Son mythe personnel se confondit par la suite avec celui de son grand-père Frédéric Barberousse. Son charisme est tel qu'au lendemain de sa mort, son fils, le futur roi Manfred Ier de Sicile, écrit à un autre de ses fils, le roi Conrad IV, une lettre qui commence par ces mots : « Le soleil du monde s'est couché, qui brillait sur les peuples, le soleil du droit, l'asile de la paix[4] ».
Il était le fils de l'empereur Henri VI et de Constance de Hauteville, elle-même fille de Roger II de Hauteville, premier roi normand de Sicile[5]. Alors que sa mère avait 40 ans[6], sa naissance eut lieu en public, sous une tente dressée sur la place principale de Jesi[7]pour prouver qu'elle était bien la mère de l'héritier.
Frédéric-Roger fut élu roi des Romains en 1196, à la demande de son père, pour assurer la continuité dynastique des Hohenstaufen au trône impérial. Cependant, Henri VI mourut brutalement en 1197. L'impératrice s'imposa à la régence contre le sénéchal allemand Markward d'Anweiler, mais elle mourut en 1198 alors que Frédéric II n'était encore qu'un enfant de trois ans, élevé à Foligno par la femme de Conrad d'Urslingen[8].
Constance ne revendiqua pas les droits de l'enfant en Germanie, conformément aux requêtes de Célestin III, où les grands, soucieux d'éviter une minorité comme celle d'Henri IV, se tournèrent vers le frère du défunt : Philippe de Souabe fut élu en 1198 roi des Romains, à la place de son neveu. Le pape lui suscita immédiatement un concurrent, le Welf Othon IV. Frédéric-Roger, lui, était seulement roi de Sicile, comprenant alors l'île et la majeure partie de l'Italie méridionale au sud des États pontificaux.
Constance, en mourant, confia la tutelle de l'enfant et du royaume au pape Innocent III jusqu'à sa majorité, lequel désigne un collège composé de prélats et du chancelier Gauthier de Palear[9], évêque de Troia, pour diriger les destinées de l'île durant les dix ans de sa minorité, marquées par la révolte des musulmans et les luttes entre Allemands et alliés du Pape[10]. Markward d’Anweiler revendique également la régence et la tutelle avec le soutien de Philippe de Souabe. Il capture Frédéric à Castello a Mare de Palerme en , et devient régent quelques mois jusqu'à sa mort, en 1202. Un autre seigneur allemand, Guillaume Capparone, lui succède comme régent et garde Frédéric au palais royal de Palerme jusqu’en 1206[9].
« Petit et trapu, avec un visage presque aussi roux que ses cheveux, et des yeux de myope », Frédéric déborde d'énergie et est intellectuellement précoce, mais est aussi volontiers provocateur et cruel. Il fait valoir sa majorité à ses quatorze ans, et épouse Constance d'Aragon, âgée de onze ans de plus que lui, qui introduit à la cour la culture de l'amour courtois[11].
Othon IV, couronné empereur romain par Innocent III en 1209, perdit la faveur du souverain pontife, qui soutint à la Diète d'Empire de Nuremberg de 1211 l'élection de Frédéric comme roi des Romains et excommunia Othon IV. Mais ce titre de roi des Romains, qui était un préalable à la couronne impériale, ne signifiait rien tant qu'Othon IV demeurait empereur, jusqu'à sa défaite à la bataille de Bouvines en 1214[12].
Une fois couronné empereur, Frédéric délaissera la Sicile au profit de l'Italie du Sud. Capoue accueille vingt des vingt-six sessions de la Magna Curia impériale, ainsi que les assises de 1220, Foggia concentre l'essentiel des séjours impériaux[13].
En 1211, une assemblée de princes et évêques du sud de l'Allemagne réunis à Nuremberg élut Frédéric roi. En 1212, il fit couronner son fils Henri roi de Sicile et son épouse Constance régente, le pape ne souhaitant pas l'union de la Sicile et de l'Empire. Frédéric partit fin février de Messine avec une modeste suite, prêtant hommage à Innocent III au nom de son fils le dimanche de Pâques, puis traversant l'Italie avec le soutien des Génois, les Alpes pour arriver à Constance, où il devança Othon IV de trois heures seulement. Il rallia ensuite les princes de la Souabe et de la Haute-Rhénanie, évitant les combats. Confirmé comme roi par une grande assemblée à Francfort le , il fut couronné en la cathédrale de Mayence le par l'archevêque Siegfried II d'Eppstein, avec une copie des insignes, encore détenus par Othon IV. Battu à Bouvines, ce dernier y perdit son trésor, dont les insignes impériaux qui furent renvoyés à Frédéric par le roi Philippe II de France. Reconnu par tous les princes, Frédéric fut à nouveau sacré à Aix-la-Chapelle le par l'archevêque de Mayence. L'élection fut reconnue par Innocent III au quatrième concile du Latran[14]. Lors du couronnement d'Aix-la-Chapelle, Frédéric utilisa le manteau de couronnement de Roger II de Sicile, qui devint alors le manteau de sacre des empereurs, l'un des insignes impériaux utilisé par la suite jusqu'au XVIIIe siècle par quarante-sept empereurs. Le manteau est aujourd'hui conservé dans la Schatzkammer (chambre du trésor) de Vienne avec les autres insignes et le trésor des rois de Sicile.
Le pape Honorius III couronna finalement Frédéric II empereur à Rome en 1220. Cela devait être la fin de l'entente entre l'Empire et la papauté puisque Frédéric II n'avait pas l'intention de séparer ses deux héritages, la Sicile maternelle et la Germanie paternelle. Frédéric renouvela le serment d'allégeance envers la papauté, confirma le versement d'un tribut annuel de 1 000 pièces d'or par la Sicile, et promit de partir en croisade dans les lieux saints. Toutes ces promesses lui permirent d'asseoir son pouvoir solidement.
En Germanie, Frédéric II accorda à quatre-vingt-dix évêques et abbés royaux, une charte, la Confœderatio cum principibus ecclesiasticis de 1220, dans laquelle il confirma l'abandon des droits de dépouille ; il renonça aussi à influencer les élections, à exercer ses droits régaliens sur les territoires ecclésiastiques comme la construction de châteaux, les tonlieux, etc. Il donna aux princes laïcs le Statutum in favorem principum de 1231 qui en faisait les maîtres de la justice dans leurs domaines[15].
Son règne fut très largement occupé par les affaires italiennes et les conflits avec la Ligue lombarde puis la papauté. Il séjourna en Germanie de 1212 à 1220, en laissant ensuite le gouvernement à son fils Henri VII, enfant de neuf ans élu roi des Romains. Il y revint pour faire face en à la rébellion d'Henri qu'il emprisonna[9], et continua par la suite de gouverner à travers ses représentants. Héritier du royaume normand de Sicile, Frédéric II le réorganisa en un État centralisé de caractère moderne doté d'un droit rénové (Constitution de Melfi). Il s'en servit comme appui pour tenter de soumettre le royaume d'Italie.
En concentrant entre ses mains la majorité des terres agricoles de Sicile, les ports de l'île, et les monopoles de production de sel, de soufre, de fer et de soie, il est sans doute l'un des plus riches souverains d'Europe[16].
Il doit son surnom d'Enfant d'Apulie à son attachement pour la région des Pouilles[17].
Lors de son couronnement à Aix-la-Chapelle le , Frédéric avait promis au pape de partir en croisade. Son vœu reprenait en fait celui de son grand-père Barberousse qui lui était parti en croisade, et de son père. Mais son échec devant la résistance des communes lombardes en 1225-1226 retarda son départ. Or, la papauté espérait desserrer l'étau que faisait peser l'empereur du Saint-Empire sur ses États pontificaux en éloignant l'ambitieux souverain[6]. Cette promesse paraît étrange au regard de sa connaissance et de son intérêt pour le monde musulman et la langue arabe[18].
Veuf de Constance depuis 1221, et sur proposition d'Honorius III, il épouse Yolande de Brienne, fille de 14 ans de Jean de Brienne, roi de Jérusalem, et promet le départ de la sixième croisade le jour de l'Ascension 1227[19]. Au lendemain du mariage célébré en la cathédrale de Brindisi le , Frédéric II retire à Jean de Brienne le titre de régent et de roi[19].
N'ayant pas honoré cette promesse (les négociations secrètes avec le sultan, puis la mort du landgrave de Thuringe et enfin une épidémie de choléra ou de typhoïde l'ayant obligé à la différer), Frédéric fut excommunié le par Grégoire IX, fraichement élu pape. Il partit l'année suivante alors que son excommunication n'était pas levée. Sa brève croisade se termina en négociations et par un simulacre de bataille avec le sultan Malik al-Kamel (« le Parfait »), avec qui des liens d'amitié s'étaient tissés, et par un accord, le traité de Jaffa, à cause duquel le pape réaffiirme l'excommunication impériale en [20]. Il récupéra sans combattre la ville de Jérusalem et se couronna lui-même roi de Jérusalem le .
Il s’embarque pour l'Italie le 1er mai, laissant les États latins d'Orient sans roi résident, en proie à la guerre civile entre ses partisans et ses opposants[21].
Frédéric II souhaite restaurer le pouvoir monarchique dans le Royaume de Sicile. Il réunit les grands barons à Capoue en décembre 1220. Ainsi, les titres attribués, terres distribués et les châteaux édifiés depuis la mort de Guillaume II, sont retirés, restituées et confisqués, en Pouilles puis à Malte et en Sicile. L'empereur abolit les privilèges commerciaux aux Génois et des Pisans, reprend le contrôle des ports et des productions de sel, de fer, de soie et de soufre[22]. Il s'intéresse également à l'agriculture en relançant l'exploitation de la canne à sucre, du henné et de la palmeraie de Palerme[23]. En 1224, il fonde l'Université de Naples[24].
En 1231, il promulgua les Constitutions de Melfi ou Liber Augustalis[25], un recueil des lois de son royaume qui devait unifier les lois complexes de l'Empire, soumis aux droits régaliens multiples que possédaient les princes et autres souverains du Saint-Empire. Ce recueil n'avait pour autre but, sous couvert d'une uniformisation des systèmes politico-judiciaires, que d'empêcher la mainmise des petits seigneurs sur les villes et leurs corps de métiers. Le Liber Augustalis, s'ouvre sur l'énumération des titres de Frédéric. Il est Imperator Fridericus secundus, Romanorum Cæsar semper Augustus, Italicus Siculus Hierosolymitanus Arelatensis, Felix victor ac triumphator. À travers la présence des titulatures romaines, on peut voir la volonté d'affirmer le pouvoir impérial. Frédéric fit frapper des monnaies d'or, les « augustales ». Sur l'une des faces, entourée de l'inscription IMP. ROM. CÆSAR AUG, il était représenté, à l'instar des empereurs romains, vêtu du manteau impérial avec une couronne de laurier sur la tête. Sur l'autre face, figurait l'aigle impériale avec l'inscription Fridericus[6]. Frédéric II, comme les empereurs romains, affirmait sa domination sur le monde mais il n'avait pas les moyens de sa prétention. Il se heurtait aussi au pape, qui depuis le XIe siècle voulait imposer à l'Occident son dominium mundi.
Il repeuple Malte et l'arrière-pays sicilien en déplaçant des Lombards et des Grecs[26], constitue un réseau de forteresses, châteaux forts le plus souvent carrés, comme les châteaux d'Ursino, Maniace, d'Augusta et Milazzo[27].
Grégoire IX, pape élu en 1227 avec la conviction de la suprématie pontificale, profite de l'absence de l'empereur pour envahir l'Italie du sud et répandre la rumeur de la mort du monarque. L'armée de Frédéric, conduite par Conrad d'Urslingen jusqu'au retour de l'empereur, affronte les armées pontificales jusqu'en et signe les traités de San Germano et de Ceprano à l'été 1230 avec Grégoire IX qui lève l'excommunication[20].
Le conflit entre Frédéric et le pape Grégoire IX, puis Innocent IV, reprit. Les cités italiennes de Lombardie qui prirent parti pour Frédéric constituaient le groupe dit des gibelins et les cités plus nombreuses qui s'opposèrent au pouvoir impérial et s'allièrent au pape était les guelfes (parfois, l'opposition entre les factions des guelfes et gibelins traversait la même ville selon les alliances politiques). Il triompha des villes lombardes le à Cortenuova. Sûr de sa force, il offensa alors le pape, à qui il réclamait une partie des villes lombardes en récompense de sa victoire, et écrivit aux Romains pour leur rappeler leur grandeur passée du temps de l'Empire romain. Il est à nouveau excommunié[28].
Dès les années 1237-1238, il suit de près les affaires en Provence en nommant un vice-roi en Arles, puis en 1240 en demandant au comte Raymond VII de Toulouse d'intervenir militairement[29] contre le comte Raimond-Bérenger IV de Provence et Jean Baussan, archevêque d'Arles.
En 1245, Innocent IV fuit Rome et annonce la déposition de l'empereur au premier concile de Lyon, accordant même à ceux qui partiraient en guerre contre lui le statut de croisés. Le pape montrait ainsi qu'il était le maître du pouvoir temporel aussi bien que spirituel puisqu'il pouvait priver un souverain de son pouvoir politique[30]. La sanction n'est pas reconnue par Louis IX et Henri III d'Angleterre, frère de la troisième femme de Frédéric[31]. Les évêques électeurs proclamèrent alors en 1246 empereur le landgrave de Thuringe Henri le Raspon, qui vainquit Conrad IV à la bataille de la Nidda () mais mourut en 1247. L'anti-roi suivant fut le comte Guillaume II de Hollande, élu roi des Romains le , qui prit Aix-la-Chapelle et y fut couronné le , mais sans s'imposer en Germanie. La guerre civile continua, indécise en Germanie comme en Italie.
Frédéric II meurt finalement d'une crise de dysenterie en 1250 avant d'en voir la conclusion. Il repose dans la cathédrale de Palerme auprès de ses aïeux normands de Sicile et de sa première épouse, Constance d'Aragon[6]. Son tombeau a été ouvert en 1781 et en 1998 : il contient la dépouille de l'empereur, d'un homme identifié comme Pierre III d'Aragon et d'une femme inconnue. Les analyses ADN envisagées en 1998 furent un échec.
Frédéric II est l'auteur d'un manuel de fauconnerie, De arte venandi cum avibus (De l'art de chasser au moyen des oiseaux) dont la préface contenait un éloge de l'expérience contre les théories de l'école. L'ouvrage débordait largement la simple fauconnerie et contenait aussi une partie sur l'anatomie des oiseaux. Ainsi les différentes positions des ailes durant le vol y étaient-elles remarquablement décrites[32].
Les illustrations situées dans les marges étaient d'une grande qualité pour l'époque. Ce livre, du fait des opinions de Frédéric II, fut mis à l'index par l'Église et ne reparut qu'à la fin du XVIe siècle. Les ornithologues n'en découvriront l'intérêt qu'au XVIIIe siècle. Selon l'historien allemand Ernst Kantorowicz, sa passion pour les faucons, nourrissait sa conviction de pouvoir atteindre n'importe quelle cible, un sentiment de toute-puissance que ces prédateurs avaient le don de faire naître en lui[33].
À la fin d'une existence mouvementée, l'empereur Frédéric II, qui mourra en 1250, rédige un monumental traité de fauconnerie en latin. Ouvrage essentiel, mais qui fut longtemps d'accès difficile. Son édition critique allemande date de 1942... Et il n'avait jamais été traduit en français moderne[34].
Frédéric II veut corriger toutes les sottises écrites sur la fauconnerie[35]. Il s'inspire de sources arabes, d'Aristote, et surtout de ses propres observations et expérimentations. Son exposé de la migration des oiseaux n'a été surpassé qu'au XXe siècle, par Konrad Lorenz.
Pour replacer le livre de Frédéric II dans son contexte, le lecteur pourra se reporter au bel ouvrage collectif consacré à la chasse au Moyen Âge[36]. Michel Pastoureau y montre comment l'Église, ennemie de la chasse, tenta de la canaliser en l'orientant vers des voies moins sauvages et moins païennes, en désacralisant la chasse à l'ours et au sanglier pour valoriser celle du cerf — à travers la légende de saint Hubert[37].
La pratique de la chasse amena Frédéric II à favoriser l'élevage des chevaux indispensables à sa pratique. Son règne correspond à une période de prospérité économique pendant laquelle dans la Capitanate, au nord des Pouilles, la quantité et la qualité des chevaux connurent un véritable essor à la suite d'interventions clairvoyantes et systématiques de l'empereur au début du XIIIe siècle. Des fermes royales furent implantées dans les plaines et zones humides du nord-est des Pouilles. L'élevage des chevaux s'y développa à partir des souches provenant de l'héritage équin des colonies arabes de Sicile. Frédéric II lui-même créa des haras royaux, les aratie. Dans une lettre de 1239, il ratifie l'organisation de son marestalla Sicilie, son haras en Sicile, précise comment la reproduction doit se faire, et impose que les juments soient nourries avec de l'orge afin que les poulains bénéficient d'une production de lait correcte. Dans un règlement de 1241, il organise la surveillance des juments, étalons et poulains dans les pâtures, alloue une somme pour l'achat d'huile à la fois pour l'éclairage et pour les soins des chevaux, et établit la liste du personnel qualifié qui inclut le marescallus, le maréchal-ferrant, le custos equorum, le gardien préposé aux chevaux et le scuterius, le palefrenier[38].
Tout au long de son règne, l'empereur polyglotte fit preuve d'une large ouverture d'esprit[39] et d'un avant-gardisme indiscutable, sans négliger pour autant l'exercice du pouvoir. Ainsi il affronta le soulèvement des communautés musulmanes de Sicile. Après la prise de la forteresse de Iato et l'exécution de leur chef Ibn Abbad, en 1222, il déporta tous les musulmans de Sicile à Lucera dans les Pouilles. La ville leur fut dédiée, rassemblant près de 20 000 habitants. Ceux-ci lui fournissent sa garde impériale et son harem, ainsi que des ouvriers fabriquant des lames d'acier damasquiné dans les manufactures impériales[26].
Au cours des croisades, il sut s'intéresser à la culture arabe. Il tenta notamment de concilier les deux partis (croisés et jihad) afin d'instaurer une paix durable et une cohabitation pacifique. Au prix de nombreux efforts, il faillit atteindre cet objectif mais une crise interne à l'Empire le rappela en Europe, ne lui laissant pas le temps d'achever son travail, et il dut se contenter d'une trêve.
Il eut des échanges diplomatiques intenses avec le sultan d'Égypte Al-Kâmil avec qui il signa un traité, et fut ami de son envoyé l'émir Fakhreddin.
En 1241, Frédéric II promulgua un édit autorisant la dissection de cadavres humains[40], s'opposant ainsi à l'Église, qui, privilégiant l'intégrité corporelle de l'être humain, s'empressera d'annuler l'édit à sa mort. Auparavant, dès le XIe siècle, à la célèbre École de médecine de Salerne par exemple, l'anatomie était enseignée d'après celle du porc, ou d'après les schémas établis par Galien au IIe siècle. En effet, depuis le IIIe siècle av. J.-C., époque où les médecins et anatomistes grecs Érasistrate et Hérophile avaient connu leur heure de gloire, aucun professeur de médecine en Occident n'avait disséqué de cadavre humain, car la religion interdisait la mutilation des corps. La levée de cet interdit par l'édit permit à l'italien Mondino à Bologne de perfectionner certaines notions de l'anatomie humaine.
Dans Divin Moyen Âge. Histoire de Salimbene de Parme et autres destins édifiants (Éditions Flammarion, 2014), Alessandro Barbero écrit qu’il confia à des nourrices plusieurs nouveau-nés avec ordre de ne jamais leur adresser la parole, désireux de savoir dans quelle langue ils s’exprimeraient. De fait tous ces enfants moururent les uns après les autres. « Pour Salimbene, ils étaient condamnés d’avance car, comme il l’explique, les nouveau-nés ne peuvent pas vivre sans tendresse ni sourire, sans les encouragements et les voix des nourrices. Cette évidence, l’empereur Frédéric II, qui avait par ailleurs du génie, n’était visiblement pas assez humain pour l’accepter. »
Frédéric était féru de poésie, de mathématiques et de sciences naturelles. Il put rencontrer à Pise Leonardo Fibonacci, avec qui il rechercha des solutions à divers problèmes. Il écrivit à des savants et philosophes musulmans et appela à la cour ceux qui lui paraissaient devoir être utiles. « Curieux, d'un esprit d'observation très développé, il attira à sa cour un astronome d'origine irlandaise ou écossaise, Michel Scot, qui l'amena à dévier vers l'astrologie ; ainsi, dans les années qui suivirent son retour en Sicile après 1230, il ne pouvait faire un pas ou prendre une décision sans consulter ses astrologues »[6]. Il s'occupa de questions métaphysiques. Il n'hésita pas à poser des questions épineuses à un théologien musulman, Ibn Sabin, sur l'éternité de l'univers, les attributs fondamentaux de l'Être, l'immortalité de l'âme. Cette correspondance accentua la méfiance du pape envers lui[6]. Il accueille également le medecin Théodore d'Antioche[41]. Dans sa cour, naît l'École poétique sicilienne et le sonnet. Il conçoit la porte triomphale de Capoue qui témoigne de son intérêt pour l'architecture[24].
Frédéric était un mécène des sciences et il gouvernait son État d'une manière radicalement nouvelle[42].
Excommunié par deux fois, Frédéric fut le principal adversaire à l’Église de Rome, sans être un ennemi de la religion catholique : spirituellement proche des Franciscains, il soutient les Cisterciens et l'expansion des Chevaliers Teutoniques[43].
Il indigna son époque en s'habillant parfois à l'orientale. Ses démêlés avec la papauté qui limitait son pouvoir lui firent écrire qu'il enviait que les califes fussent à la fois dirigeants spirituels et terrestres. Il entretenait une grande cour, constituée entre autres de nombreuses jeunes filles (esclaves astreintes à des travaux de couture, servantes, danseuses), si bien que ses adversaires (le pape principalement) lui reprochaient d'entretenir un harem[44]. Cette réputation est cependant fondée sur des mœurs discutables, Eraclès, des sources premières, notamment validées par René Grousset, rapportent l'abus dont fut victime sa première épouse puis le viol de la propre cousine de cette dernière par Frédéric II.
Il mit en place un système centralisé d'administration en Sicile[45] et tenta de le généraliser (avec moins de succès) en Germanie, où il dut octroyer de plus en plus d'indépendance aux princes locaux au fur et à mesure que son conflit en Lombardie se détériorait[9].
Les descendants de Frédéric, son fils légitime Conrad IV, le fils de ce dernier Conradin et son fils illégitime Manfred n'accédèrent pas à l'Empire. Le royaume de Sicile leur fut également enlevé par le pape, qui y installa Charles Ier d'Anjou. Ce fut la fin de la maison des Hohenstaufen de Souabe, qui laissa place aux Habsbourg et à l'essor des cités italiennes.
Toutefois la lignée se perpétua indirectement en Sicile, à travers les petits-fils de Manfred, enfants de sa fille Constance et de Pierre III d'Aragon, à savoir Jacques Ier de Sicile, puis son frère Frédéric II de Sicile et enfin les descendants de celui-ci, Pierre II, fils du précédent, Louis Ier, fils du précédent, Frédéric III, frère du précédent, Marie Ire, fille du précédent (maison d'Aragon en Sicile).
Aucun biographe n'a consacré d'ouvrages à Frédéric II de son vivant ou dans les années suivant sa mort. Les sources d'époque sont les écrits cléricaux qui lui sont majoritairement défavorables[43]. C'est cependant un moine, Matthieu Paris, qui le qualifie de Stupor mundi (la « Stupeur du monde ») et de « prodigieux transformateur des choses ».
Dante le place en Enfer, mais loue « la noblesse et la droiture » de l'empereur et son fils dans De vulgari eloquentia[43].
Au XIXe siècle, émerge l'image d'un souverain moderne mettant fin à la féodalité, prince de la Renaissance avant l'heure, à travers les écrits de Jacob Burckhardt (1860), Arnold Zweig (1924) et Ernst Kantorowicz (1927)[43].
32. Frédéric de Büren | |||||||||||||||||||
16. Frédéric Ier de Souabe | |||||||||||||||||||
33. Hildegarde von Schlettstadt | |||||||||||||||||||
8. Frédéric II de Souabe | |||||||||||||||||||
34. Henri IV du Saint-Empire | |||||||||||||||||||
17. Agnès de Waiblingen | |||||||||||||||||||
35. Berthe de Turin | |||||||||||||||||||
4. Frédéric Barberousse | |||||||||||||||||||
36. Welf Ier de Bavière | |||||||||||||||||||
18. Henri IX de Bavière | |||||||||||||||||||
37. Judith de Flandre | |||||||||||||||||||
9. Judith de Bavière | |||||||||||||||||||
38. Magnus Ier de Saxe | |||||||||||||||||||
19. Wulfhilde de Saxe (nl) | |||||||||||||||||||
39. Sophie de Hongrie | |||||||||||||||||||
2. Henri VI du Saint-Empire | |||||||||||||||||||
40. Guillaume Ier de Bourgogne | |||||||||||||||||||
20. Étienne Ier de Bourgogne | |||||||||||||||||||
41. Étiennette de Bourgogne | |||||||||||||||||||
10. Renaud III de Bourgogne | |||||||||||||||||||
42. Gérard Ier de Lorraine | |||||||||||||||||||
21. Béatrice de Lorraine | |||||||||||||||||||
43. Edwige de Namur | |||||||||||||||||||
5. Béatrice Ire de Bourgogne | |||||||||||||||||||
44. Thierry II de Lorraine | |||||||||||||||||||
22. Simon Ier de Lorraine | |||||||||||||||||||
45. Gertrude de Flandre | |||||||||||||||||||
11. Agathe de Lorraine | |||||||||||||||||||
46. Henri III de Louvain | |||||||||||||||||||
23. Adélaïde de Louvain | |||||||||||||||||||
47. Gertrude de Flandre | |||||||||||||||||||
1. Frédéric II du Saint-Empire | |||||||||||||||||||
48. | |||||||||||||||||||
24. Tancrède de Hauteville | |||||||||||||||||||
49. | |||||||||||||||||||
12. Roger Ier de Sicile | |||||||||||||||||||
50. Richard Ier de Normandie | |||||||||||||||||||
25. Frédésende | |||||||||||||||||||
51. | |||||||||||||||||||
6. Roger II de Sicile | |||||||||||||||||||
52. Anselme II de Montferrat | |||||||||||||||||||
26. Manfred de Savone | |||||||||||||||||||
53. Berthe de Turin | |||||||||||||||||||
13. Adélaïde de Montferrat | |||||||||||||||||||
54. | |||||||||||||||||||
27. | |||||||||||||||||||
55. | |||||||||||||||||||
3. Constance de Hauteville | |||||||||||||||||||
56. | |||||||||||||||||||
28. Eudes de Vitry | |||||||||||||||||||
57. | |||||||||||||||||||
14. Ithier de Rethel | |||||||||||||||||||
58. Hugues Ier de Rethel | |||||||||||||||||||
29. Mathilde de Rethel | |||||||||||||||||||
59. Mélisende de Montlhéry | |||||||||||||||||||
7. Beatrix de Rethel | |||||||||||||||||||
60. Albert III de Namur | |||||||||||||||||||
30. Godefroi Ier de Namur | |||||||||||||||||||
61. Ida de Saxe | |||||||||||||||||||
15. Béatrice de Namur | |||||||||||||||||||
62. Conrad Ier de Luxembourg | |||||||||||||||||||
31. Ermesinde de Luxembourg | |||||||||||||||||||
63. Clémence d'Aquitaine | |||||||||||||||||||