Philippe Muray, né le à Angers et mort le à Villejuif, est un romancier, épistolier, philosophe et essayiste français.
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murayen, murayenne |
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Philippe Muray est connu pour sa théorie du « festivisme », signe à ses yeux de ce que l'Occident mondialisé est sorti de l'Histoire et est entré dans une Post-Histoire dont il analyse les principes en les jugeant effrayants et dont la « festivisation » est, selon lui, le symptôme principal.
Philippe Muray est aussi connu pour les nombreux calembours et néologismes qu'il a introduits par son style particulièrement caustique, parmi lesquels Homo festivus (l'« homme festif », l'individu occidental sorti de l'Histoire, à rapprocher du terme bobo), l’« envie du pénal » (d'après l’« envie du pénis » de Freud, Muray y désigne la jouissance perverse que prend Homo festivus à réprimander ou demander la punition de ses semblables sous des prétextes moraux à la mode tels que l'antiracisme, la lutte contre l'homophobie ou l'anti-sexisme) ou encore les « mutins de Panurge » (paraphrase de Rabelais par laquelle Muray désigne les artistes ou autres se proclamant « subversifs » et « dérangeants » mais épousant en réalité toutes les valeurs de leur époque).
Peu de choses de la vie de ce romancier ont été décrites en détail[1] par ce dernier et son entourage.
Fils de Jean Muray, écrivain et traducteur d'auteurs anglo-saxons — dont Jack London, Herman Melville, Rudyard Kipling, Swift, Lewis Carroll, Barbara Cartland, etc. — et d'une mère lectrice passionnée, Philippe Muray indique que ses parents ont joué un rôle important dans son éducation littéraire et son goût pour la lecture[2],[3].
Il reçoit une éducation catholique[4] et fait des études supérieures de lettres à l'université de Paris. En 2001, il évoque ainsi ses années d'étudiant sur le plan politique et idéologique :
« J'ai été plus ou moins “gauchiste” […] pendant cinq ou six ans. Je me suis surtout senti attiré par la théorie althussérienne. C'était une belle construction. […] Tout cela s'est complètement terminé bien avant la fin des années soixante-dix parce que pour s'intéresser à des constructions idéologiques pareilles, il faut évidemment qu'elles aient un rapport avec le réel[5]. »
Muray souligne tout au long de ses romans l'hésitation qu'il avait, jeune homme, entre peindre et devenir romancier. Il devient romancier à l'âge de 22 ans, avec la publication de son premier roman plus tard rayé de sa bibliographie : Une arrière-saison[6].
Il gagne d'abord sa vie en travaillant comme pigiste pour le magazine Détective[7] ; il écrit ensuite, à partir des années 1970, des Brigade Mondaine, sous le pseudonyme (collectif) de Michel Brice, sous la direction de Gérard de Villiers[8].
Dans les années 1970, il côtoie les membres de la revue Tel Quel. Il publie en 1973 un roman (Chant pluriel[9]) et une pièce de théâtre (Au cœur des hachloums[10]), tous deux chez Gallimard. Il noue des relations avec Denis Roche, l'éditeur, dans sa collection « Fiction & Cie », de Jubila[11] en 1976. Il rencontre aussi Jacques Henric et Catherine Millet qui publieront nombre de ses articles dans la revue Art Press, jusqu'à 1997, date de leur brouille[12]. En 1978, il commence la rédaction de son journal intime, publié de manière posthume depuis 2015[13]. Il est alors en train d’achever la rédaction de L'Opium des Lettres[14], publié en 1979 dans la collection « TXT » dirigée par Christian Prigent, après avoir publié un article dans la revue du même nom[15].
En 1981, il publie un essai sur Louis-Ferdinand Céline[16], dans la collection « Tel Quel » dirigée par Philippe Sollers. C'est son premier livre à connaître un certain succès éditorial. Muray le considère lui-même comme le premier texte où son écriture est arrivée à maturité[17].
Dans cet essai, il formule l'hypothèse d'une continuité entre l'auteur du Voyage au bout de la nuit et le pamphlétaire antisémite de Bagatelles pour un massacre et ce, notamment, au niveau de la langue utilisée. C'est dans ce livre que Muray souligne la continuité entre la dimension progressiste de l'écriture et la pensée de Céline et l'antisémitisme de ce dernier. Pour la première fois dans son œuvre, Muray attaque la positivité comme force destructrice.
Le concept-clé de l'essai est celui de « vouloir-guérir ». Muray avance que Céline partage avec les progressistes un désir obsessionnel d'effacer le mal, assimilé à la figure du juif. Selon Muray, l’antisémitisme ne couronne[Quoi ?] les pamphlets que parce qu’il couronne aussi un « défilé de positivités »[18]. Muray montre, que chez Céline, les références sont nombreuses à des utopies et concepts progressistes vantant l'harmonie sociale[18]. Cette critique de la positivité célinienne peut apparaître comme l'ébauche de sa théorie de la fin de l'histoire comme disparition de la « négativité ».
De 1978 à 1982, il travaille à l'écriture d'un roman, d'abord nommé Divin trop divin[19] puis Le Genre Humain. Il abandonne ce projet et en détruit les manuscrits tandis qu'il poursuit l'écriture de son essai Le XIXe siècle à travers les âges.
En 1983, Muray enseigne pendant trois mois la littérature française à l'université Stanford, en Californie[20]. C'est là que lui vient l'idée de L'Empire du Bien et qu'il rassemble la matière du XIXe siècle à travers les âges, publié en 1984 par Philippe Sollers, devenu éditeur chez Denoël. C'est dans cette vaste fresque qu'est Le XIXe siècle à travers les âges que Philippe Muray propose que la notion de modernité commence avec une nouvelle conception de la mort et de l'au-delà en Occident. Cette nouvelle conception aurait été provoquée notamment par la disparition progressive du contact avec les morts en Occident, lequel faisait partie intégrante de la vie sous l'ancien régime jusqu'au , jour où l'Église catholique « cède » à Paris devant l'hygiénisme grandissant en faisant déplacer les morts de la place Saint-Innocent aux catacombes. Pour Muray, la modernité se caractérise par un rapport particulier avec les corps et la mort, lequel rapport va s'exprimer par un rapport politique qu'il nommera hygiénisme mais aussi occulto-socialisme ou social-occultisme. Ce livre permet à Muray de souligner et d'étayer l'importance de l'occultisme dans la genèse de la pensée progressiste et de la pensée socialiste[21].
Estimant qu'être édité par Philippe Sollers lui fait courir le risque d'une inféodation, Philippe Muray signe, après la publication du XIXe siècle à travers les âges, un contrat avec Grasset, où son éditeur est Bernard-Henri Lévy. Il y publie deux livres. Le premier est un roman, Postérité, paru en 1988. Le livre est un échec qu'il impute à la maison d'édition. Après la publication de La Gloire de Rubens en 1991, il rompt son contrat avec Grasset. Il retrouve alors son ami Michel Desgranges qui lui propose de l'éditer aux Belles Lettres dont il a pris la direction[22].
En 1991, Muray publie L'Empire du Bien, livre qui va constituer un tournant dans la pensée contemporaine et celle de l'auteur. Muray y adopte en effet un style littéraire particulièrement caustique qui fera ensuite sa notoriété.
Il écrit ensuite de nombreuses chroniques, d'abord publiées dans des journaux ou revues (Revue des Deux Mondes, Art Press, L'Infini, L'Idiot international, Immédiatement, La Montagne, Marianne), puis reprises en volumes dans Après l'Histoire et Exorcismes spirituels. Dans ces chroniques, il ne cesse d'analyser l'évolution de la modernité de façon goguenarde. Muray déclare user des différents procédés du rire (l'ironie, la dérision, la moquerie, la caricature, l'outrance, la farce, etc.) « comme on se sert des couleurs sur une palette » afin de faire revenir au réel. Ce rire n'est cependant pas une futilité, il est appuyé sur une pensée et il appuie cette pensée :
« Avant de rire, et peut-être de faire rire le lecteur, il me faut concevoir ce monde, et le voir, et l'entendre, tandis qu'il commet ses méfaits et ses crimes en parlant la langue festive, tout comme la Révolution française commettait les siens dans la langue de l'ancienne Rome impériale et dans les costumes ad hoc. C'est seulement à partir de cette considération globale que peut naître la démesure du rire, qui est aussi le plus exact compte rendu de ce qui se passe. Cette époque, pour employer un euphémisme, exagère. L'exagération comique me paraît la meilleure réponse que l'on puisse lui apporter. »
En 2002, dans son livre Le Rappel à l'ordre : Enquête sur les nouveaux réactionnaires, Daniel Lindenberg rapproche Philippe Muray de Michel Houellebecq et Maurice G. Dantec, qu’il range (avec d'autres personnalités) dans la catégorie des « nouveaux réactionnaires ». En réponse, Muray cosigne, avec entre autres Alain Finkielkraut, Marcel Gauchet, Pierre Manent et Pierre-André Taguieff, un Manifeste pour une pensée libre contre le livre de Lindenberg[23]. Muray note également, dans une série d'entretiens coécrits avec Élisabeth Lévy intitulée Festivus festivus, le caractère comique de ce rapprochement de ces différents auteurs et penseurs par Daniel Lindenberg : les personnes citées sont issues de courants de pensées extrêmement divers, voire opposés[24].
Les trois derniers livres publiés de son vivant sont Chers djihadistes… (2002), Festivus festivus, un livre d'entretiens avec la journaliste Élisabeth Lévy (2005) et Moderne contre moderne ().
Dans Chers djihadistes…, Muray entreprend un « compendium »[25] de son époque en notant le caractère sans précédent d'une tentative du monde moderne d'asservir l'Islam. L'auteur souligne que cette tentative « d'esclavagisme » — tel qu'il est décrit dans les derniers chapitres de Festivus festivus — est le signe d'une mutation anthropologique très profonde du monde contemporain. Les djihadistes, loin d'être seulement des opposants à la modernité, sont décrits comme étant eux aussi désireux d'accéder à un état de « mort historique »[26], qui caractérise le monde moderne selon l'hypothèse post-historique de Muray.
Dans Festivus festivus, Muray essaie de davantage préciser la mutation qu'entreprend le monde moderne au moment de ses entretiens, mais aussi (ce qui n'est pas indiqué dans Chers djihadistes…) de « renouveler » en partie le caractère romanesque d'un dialogue entre deux personnes, à l'image du Neveu de Rameau de Diderot ou de la correspondance de Saint Augustin, auteurs qu'il mentionne dans ses Exorcismes spirituels[27]. De manière intéressante, Muray fait aussi remarquer dans Festivus festivus que les médias n'ont pour but que de « parler d'eux-mêmes », ce qui explique, en partie, sa réticence à être interviewé[28].
Muray ne cesse de faire varier tout au long de sa vie son style selon les essais, romans, poèmes ou entretiens qu'il fait publier.
Il meurt le d'un cancer du poumon à Villejuif[29] et est inhumé le au cimetière du Montparnasse (10e division).
Philippe Muray était marié à Anne Sefrioui.
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Auteur de plusieurs romans et critique littéraire, Philippe Muray est un écrivain prolifique. Il est l'auteur de multiples romans tels que Chant pluriel (1973), Jubila (1976), Postérité (1988), On ferme (1997), ainsi que de près d'une centaine de romans policiers de commande (pour Gérard de Villiers) publiés dans la collection « Brigade mondaine » sous le pseudonyme collectif de Michel Brice[30], d'un essai sur Rubens (La Gloire de Rubens, Grasset, 1991) et d'un recueil de poèmes comiques (Minimum Respect, Les Belles Lettres, 2003). D'autre part, Muray n'a eu cesse durant sa vie d'écrivain de varier les genres littéraires : — celui de l'essai dans Exorcismes spirituels, la nouvelle dans Roues Carrés, la poésie dans Minimum respect, le journal intime dans Ultima Necat, la chanson dans son album Sans Moi avec Bertrand Louis et l'entretien journalistique dans Festivus festivus —, attestant ainsi d'un talent littéraire manifeste.
À l'image de Balzac, Philippe Muray veut défendre une idée — la thèse de la festivisation du monde contemporain — qui constituerait la colonne vertébrale de son œuvre romanesque. Il se veut le chroniqueur et le contempteur du désastre contemporain, où l'entrée dans l'ère festive conduirait à une indifférenciation généralisée — y compris des sexes —, jusqu’au point où « le risible a fusionné avec le sérieux ». Pour stigmatiser, par le rire, la dérision et l'outrance de la caricature, les travers de notre temps, Muray invente dans Après l'Histoire, et reprend dans la revue Immédiatement, une figure emblématique, aussi fanfaronne que militante : l’Homo festivus, qui se transformera plus tard en Festivus Festivus, le citoyen moyen de la post-histoire, « fils naturel de Guy Debord et du Web »[31].
Pour défendre cette hypothèse de l'entrée dans l'ère festive, Philippe Muray invente de nombreux concepts, pour la plupart comiques. Ainsi, il théorise le concept de l'« envie du pénal »[32], qu'il crée en référence au concept psychanalytique d'« envie du pénis » de Sigmund Freud[33]) afin de désigner la volonté moderne et farouche de créer des lois pour « combler le vide juridique », c'est-à-dire, selon lui, pour supprimer toute forme de liberté et de responsabilité[34].
De sa plume sont également nés des concepts tels que celui de comique de « doléance »[35], qui repose sur la réitération de demandes contradictoires par les associations de lutte pour les minorités, mais aussi de « glucocrate »[36], figure du Tartuffe moderne, lequel va, au travers d'une candeur relationnelle et d'une valorisation excessive d'un bien perçu, exercer une forme de violence psychologique et une domination sociale. Dans Festivus Festivus et dans les Mutins de Panurge[37], Muray donne naissance aux concepts de « mutin de Panurge » et de « mutants de Panurge » qui désignent tout individu qui applique la rébellion et la contestation comme une nouvelle norme mais aussi comme instrument de pouvoir. Dans ces entretiens, Philippe Muray inventera aussi les concepts de « statopathe » et d'« occidentalopathe », désignant quant à eux tous les individus (indépendamment du fait qu'ils soient d’extrême droite, djihadistes, de droite ou de gauche) qui ne trouvent qu'une réaction armée (sans pour autant donner une réponse) au pouvoir de l'État (en ce qui concerne le statopathe[38]) ou de l'Occident (pour l’occidentopathe[39]).
Si certains des écrits de Philippe Muray (notamment ceux concernant le « festivisme » et le besoin des modernes de fuir le quotidien) ont pu être rapprochés de ceux de Guy Debord[40], le romancier a souligné que cette hypothèse (et constat) du festivisme de la société est distincte de l'hypothèse de la Société du spectacle de Guy Debord. Muray pense en effet que la pensée de Guy Debord n'est plus apte à déchiffrer les phénomènes contemporains : « Il est temps d’entamer la critique méthodique de ce penseur [Debord], et de dire pour commencer que, contrairement à ce qui se radote depuis si longtemps, l’époque n’a pas connu d’ami plus fidèle que le théoricien du spectaculaire intégré. On peut même avancer que l’ère hyperfestive, laquelle n’a plus rien à voir avec la société du spectacle, avait besoin de cet idéologue pour avancer masquée[41]. » Philippe Muray dira son enthousiasme à propos de la pensée de Jean Baudrillard dans un entretien issu de Exorcismes spirituels IV (Les Belles Lettres) et intitulé Le mystère de la désincarnation.
Philippe Muray soulignait l'importance de la critique littéraire, devenue selon lui un outil de plus dans l'arsenal du romancier et non plus comme depuis 'toujours' une ennemie[42]. À l'instar de Victor Klemperer ou de Joseph de Maistre, Muray a également été très attentif à l’évolution de la langue[43] : il fait remarquer à plusieurs reprises dans ses écrits, la présence sans précédent d'une confusion entre le dire et l’écrire en français — « un auteur dit que » à la place d'« un auteur écrit que » — comme un symptôme d'indifférenciation généralisé et de l’absence de plus en plus prononcée de secrets : « Écrire ce n'est pas dire. » Il s'est également intéressé à la substitution progressive dans la langue moderne du « je » par le « combien », par le « on »[44],[45],[46],[47]. Cette substitution est pour Muray d'autant plus intéressante qu'elle s'accompagne de la disparition progressive du sujet dans la phrase, avec des omissions du pronom « je » et d’un appauvrissement du vocabulaire de la langue française.
Dans ses « exorcismes spirituels », L'Empire du Bien, On ferme et Festivus Festivus, Muray fait référence à de nombreux auteurs antiques, tels que Appius Claudius Caecus, Saint Augustin, Procope, mais évoque aussi des auteurs plus récents tels que Sade, Swift, Zola, Bloy, Carroll, O'Connor et Balzac. Muray commente aussi nombre des écrits modernes de Madame Angot, Madame Catherine Millet, Monsieur Sollers, Monsieur Naulleau, Monsieur Baudouin de Bodinat, etc. Muray se sert des écrits et œuvres qu'il commente comme illustrations éclairant des phénomènes modernes — tel que c'est le cas pour Carroll et Swift — ou pour souligner le rôle que jouent des auteurs modernes dans la compréhension des phénomènes sans précédent de notre époque.