Ibn Sallâm al-Jumahî, de son nom complet Abû Abdallah Mohamed Ibn Sallâm al-Jumahî (arabe : أبو عبد الله محمد بن سلام الجمحي) est un philologue et un traditionniste de Basra, né en 756 et mort à Bagdad en 845 ou 846[1]. Il se rendit célèbre par ses Tabaqât, ou « Classes », dans lesquelles il rangea les poètes de l'Islam et de l'Arabie préislamique par ordre d'excellence, et auxquelles se référèrent tous les critiques classiques par la suite[2].
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Ibn Sallâm naquit en 756 à Basra où il étudia les sciences religieuses et l'adab en général, notamment auprès de son père, lui-même très versé en poésie et en lexicographie[3].
Le rôle de Basra, puis Bagdad, comme centre intellectuel de l'empire musulman permit à Ibn Sallâm d'être en rapport avec un nombre considérable de savants de l’époque, tels les transmetteurs et philologues al-Asmaï, Abu Ubayda, Abu Zayd al-Ansârî, al-Mufaddal al-Dabbî. Il fréquenta également quelques poètes, comme Bashar ou Marwânn Ibn Abî Hafsa.
Ibn Sallâm recueillit des hadîths de la bouche des traditionnistes et les transmit à son tour à des personnalités telles qu’Abu Hatim al-Sidjistânî ou Ahmad Ibn Hanbal et son fils Abdallah. De même, il se fit le transmetteur de traditions à caractère historique, linguistique et littéraire, et de nombreux philologues éminents figurent au nombre de ses auditeurs, tels par exemple Omar Ibn Shabba[3].
Ibn Sallâm al-Jumahî mourut à Bagdad en 845 ou 846.
Précédées d'une célèbre introduction, les Classes sont divisées en deux grandes parties, Classes de la Jâhiliyya et Classes de l'Islam, chacune contenant dix classes de quatre poètes. Entre ces deux grandes parties, on trouve trois petites classes intermédiaires : Les auteurs de thrènes (arabe : أصحاب المراثي), Les poètes des cités arabes (arabe : شعراء القرى العربية) (Médine, La Mecque, Tâ'if, Bahreïn), et Les poètes juifs (arabe : شعراء يهود)[4].
L'introduction de l'ouvrage d'Ibn Sallâm est d'une importance fondamentale dans le développement de la critique arabe classique.
Tout d'abord, cette introduction définit la critique de la poésie comme le champ d'exercice du savant (en l'occurrence, du philologue) et consacre ainsi le passage d'une conception préislamique de la poésie comme opération mystérieuse liée au surnaturel à une conception de la poésie comme pratique linguistique, comme art (sinâ'a), susceptible donc d'être l'objet d'une science ('ilm).
La conception de la poésie ici en jeu est celle de la poésie comme savoir ('ilm). La poésie est « le recueil du savoir des Arabes », et en cela la bonne poésie est avant tout la poésie authentique, car il ne faut pas perdre de vue que le grand mouvement de la recension de la littérature préislamique au VIIIe siècle naît surtout de la nécessité de rassembler un patrimoine littéraire susceptible d'aider les savants dans la compréhension et l'interprétation du Coran. On doit donc pouvoir tirer de la bonne poésie soit des informations historiques (mentions de batailles, de lieux, de personnages...), soit des « arguments » linguistiques qui permettront d'illustrer ou d'éclairer des points de langue dans l'exégèse du Coran, notamment dans la perspective d'en tirer une grammaire. Mais on peut également chercher dans la poésie ancienne des sagesses, des conseils, ou encore des expressions poétiques originales.
Ibn Sallâm se préoccupe donc de la question de l'authenticité des sources, pointant du doigt le fait qu'il y a, dans la poésie, un grand nombre de pièces falsifiées, non fiables, « dont on ne peut tirer aucun bien ». Pour critiquer l'authenticité des sources, Ibn Sallâm avance la notion d'ijmâ', de consensus scientifique, déjà utilisée dans les sciences religieuses naissantes. Si tous les savants s'accordent à qualifier un poème de falsifié (mawdû'), alors il faut s'abstenir de le transmettre et l'écarter définitivement.
Enfin, Ibn Sallâm vise dans son introduction à mettre en avant le rôle de l'école de Basra, dont il se réclame, dans l'invention de la grammaire et la mise en place de ses catégories fondamentales. Il cite ainsi de nombreux grammairiens et philologues de cette école, en rapportant leurs opinions et en relevant l'approbation qu'elles rencontrèrent auprès des savants et des hommes de pouvoir, notamment sur les questions des lectures du Coran. Il reconnaît cependant une certaine importance à quelques savants de l'école de Kufa, notamment Al-Mufaddal.
Les Classes de Jumahî ont connu un destin mouvementé. Elles ont vraisemblablement été transmises par oral et remaniées par son neveu, Abû Khalîfa al-Fadl Ibn al-Hubâb al-Jumahî, avant d'être mises par écrit plusieurs dizaines d'années après la mort de leur auteur[5]. Au IXe siècle, quand Jâhiz cite Jumahî, il précise l'isnâd, ce qui indique la présence d'oralité dans la transmission. Au Xe siècle, Ibn al-Nadim attribue à Jumahî dans son Fihrist deux ouvrages distincts : les Classes des poètes jâhilites et les Classes des poètes islamiques.
Les Classes de Jumahî nous sont donc parvenues de façon éparpillée et ont été longtemps considérées comme incomplètes, jusqu'à l'édition de Chaker, publiées au Caire en 1952 sous le titre Les Classes des poètes « étalons » (arabe : طبقات فحول الشعراء). L'édition préparée par Chaker, basée sur des manuscrits plus complets jusqu'alors inconnus, a été saluée pour sa grande qualité, et est devenue l'édition de référence[3].