Suzy Solidor, nom de scène de Suzanne Marion, est une chanteuse, actrice et romancière française née le à Saint-Servan (Ille-et-Vilaine) et morte le à Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes).
Celle que l'on nomma «la Madone des matelots»[1], fut une figure emblématique des années 1930. Symbole de la garçonne des «Années folles», elle a contribué à populariser auprès du grand public le milieu lesbien parisien, célébrant par l'interprétation de plusieurs chansons les amours saphiques (par exemple: Ouvre, ou Obsession)[2].
Biographie
Suzy Solidor naît de père inconnu à Saint-Servan-sur-Mer (commune aujourd'hui rattachée à Saint-Malo) dans le quartier de la Pie. Sa mère, Louise Marie Adeline Marion, âgée de près de trente ans, est alors domestique de Robert Henri Surcouf, avocat, député de Saint-Malo et armateur, descendant de la famille du célèbre corsaire (selon Suzy Solidor, le député serait son père biologique).
Pour échapper à sa condition de fille-mère, Louise Marion épouse le Eugène Prudent Rocher qui reconnaît la petite Suzanne, alors âgée de sept ans. Celle-ci prend dès lors le nom de Suzanne Rocher. La famille s'installe dans le quartier de Solidor à Saint-Servan, qui inspirera plus tard son nom de scène à Suzy. Elle est alors la voisine de Louis Duchesne, chemin de la Corderie, sur la cité d'Aleth.
Une «garçonne»
Suzy Solidor apprend à conduire en 1916 et passe son permis l'année suivante, ce qui à l'époque était exceptionnel pour une femme. Peu avant l'armistice de 1918, promue chauffeur des états-majors, elle conduit des ambulances sur le front de l'Oise, puis de l'Aisne[3],[4].
Après la guerre, elle s'installe à Paris. C'est à cette époque qu'elle rencontre Yvonne de Bremond d'Ars, la célèbre et très mondaine antiquaire, qui sera sa compagne pendant onze ans. «Ce fut Bremond d'Ars qui la première lança Solidor en tant qu’œuvre d'art et qui la présenta au public comme image / icône (...) Elle m'a sculptée, déclara Solidor»[5].
Après leur séparation en 1931, Suzy Solidor aura plusieurs liaisons avec des femmes. Elle a une aventure amoureuse avec l'aviateur Jean Mermoz[4] qui lui offrira un magnifique cœur de diamants traversé par une flèche de rubis, il fera aussi réaliser d'elle un portrait par Paul Colin[6]...
Elle se tourne vers la chanson en 1929, et prendra peu après le pseudonyme sous lequel elle est connue. Elle fait ses débuts à Deauville, au cabaret Le Brummel[7]. Son répertoire se compose essentiellement de chansons de marins et d’œuvres plus sensuelles, équivoques et audacieuses. Sa voix grave, quasi masculine («une voix qui part du sexe» selon Jean Cocteau[8]), son physique androgyne, ses cheveux blonds et sa frange au carré marquent les esprits. Surnommée «l'Amiral», icône de la chanson maritime, elle se produit en 1933 avec succès à L'Européen puis ouvre rue Sainte-Anne «La Vie parisienne», un cabaret «chic et cher», lieu de rencontres homosexuelles, où chante entre autres le jeune Charles Trenet.
Celle qui fut la chanteuse la plus croquée du siècle disait d'elle-même avec humour: «Je suis plus à peindre qu'à blâmer»[1].
L'Occupation
Article connexe: Paris sous l'Occupation allemande.
Durant l’Occupation, son cabaret La Vie Parisienne, rouvre en [10], et est fréquenté par de nombreux officiers allemands. Suzy Solidor ajoute à son répertoire une adaptation française de Lili Marleen, une chanson allemande adoptée par les soldats de la Wehrmacht (avant de l'être par les armées alliées), qu'elle interprète de façon régulière à Radio-Paris. Ses activités (selon André Halimi, «elle mériterait un brevet d'endurance pour l'inlassable activité qu'elle mena pendant l'Occupation, car elle passe d'un cabaret à l'autre, d'une radio à l'autre, d'un music-hall à l'autre»[11]) lui valent d'être traduite à la Libération devant la commission d'épuration des milieux artistiques, qui lui inflige un simple blâme mais lui impose une interdiction de 5 ans d’exercer[12]. Elle cède alors la direction de son cabaret à la chanteuse Colette Mars, qui y avait fait ses débuts, et part chanter aux États-Unis.
L'après-guerre
De retour à Paris, Suzy Solidor ouvre en le cabaret «Chez Suzy Solidor», rue Balzac (près des Champs-Élysées) qu'elle dirige jusqu'au début de 1960 avant de se retirer sur la Côte d'Azur. Elle s'installe à Cagnes-sur-Mer où elle inaugure la même année un nouveau cabaret, «Chez Suzy», décoré de 224 de ses portraits. Elle s'y produit jusqu’en 1967 avant de prendre la direction d'un magasin d'antiquités, place du château du Haut de Cagnes.
Continuant sa collection de portraits elle en commande un nouveau à Francis Bacon qui accepte de peindre Suzy en 1957 parce qu'il avait besoin de rembourser une dette de jeu. Mais elle déteste le tableau et le met en vente en 1970, Bacon le rachète et le détruit[13].
En , elle offre à la ville de Cagnes-sur-Mer une quarantaine de ses portraits, qui figurent aujourd'hui parmi les œuvres remarquables du musée-château Grimaldi dans le Haut de Cagnes[14].
Mort
Suzy Solidor meurt le et est enterrée à Cagnes-sur-Mer.
Postérité
Suzy Solidor est l'objet de la chanson Sad Songs du groupe The Christians et de la pièce All I Want is One Night écrite par Jessica Walker[15].
La danseuse est créole, 1938 (Jacques Plante - Louiguy)
On danse sur le port, 1939
J'écrirai, 1939 (Suzy Solidor)
Mon cœur est triste sans amour, 1940
Je ne veux qu'une nuit, 1941
Lily Marlène, 1942
La Jolie Julie, 1942
À quoi songes-tu?, 1943
Le Soldat de marine, 1943
Trois lettres de toi, 1943
Le Petit Rat, 1947
Un air d'accordéon, 1947
Un refrain chantait, 1947
Amours banales, 1947
L'amour commande, 1948
Saïgon, 1948
Congo, 1948
Nature boy, 1948
L'Inconnue de Londres, 1948 (Léo Ferré)
Soir de septembre, 1948
J'aime l'accordéon, 1949
Casablanca, 1949
Valsez, Laurence, 1950
La Foule, 1951
Brasileira, 1951
Judas, 1952
La Brume, 1952
Danse de la corde, 1952
La Dame qui chante, 1952
Si le Rhône rencontrait la Seine, 1952
Amor y mas amor, 1952
Romans
Térésine, éditions de France, Paris, 1939 (220 p.)
Fil d'or, éditions de France, Paris, 1940 (217 p.) - roman dédié «à ceux du large et à ceux du bled, à tous ceux des avant-postes, à ceux qui tiennent les portes de l'Empire...»
Le Fortuné de l'Amphitrite, éditions de France, Paris, 1941 (213 p.)
La vie commence au large, éditions du Sablon, Bruxelles-Paris, 1944 (242 p.)
Théâtre
1937: L'Opéra de quat'sous de Bertolt Brecht, adaptation française d'André Mauprey et Ninon Tallon, mise en scène de Raymond Rouleau et Francesco von Mendelssohn, théâtre de l'Étoile: Jenny-la-Paille
1951: L'École des hommes de Jean-Pierre Giraudoux, théâtre Michel - pièce écrite pour elle, où elle incarne une artiste peintre qui n'aime pas les hommes.
Filmographie
Escale (1935) de Jean Dalray
La Garçonne (1936) de Jean de Limur, d'après le roman-éponyme de Victor Margueritte
La Femme du bout du monde (1937) de Jean Epstein
Ceux du ciel (1941) d'Yvan Noé
Notes et références
Jacqueline Strahm, Montmartre, Beaux jours... et belles de nuit, Cheminements, Paris, 2001, p.215.
«Ces deux poèmes d’Edmond Haraucourt (publiés pour la première fois en 1882) n’étaient pas destinés à être dits par une femme. Mais Suzy Solidor, qui a demandé à Laurent Rualten d’en composer la musique, y met une telle flamme sensuelle, avec sa belle voix grave, que l’on pourrait croire qu’ils ont été écrits pour elle» Cf. Martin Pénet, «L'expression homosexuelle dans les chansons françaises de l'entre-deux-guerres: entre dérision et ambiguïté», Revue d’histoire moderne et contemporaine, 4/2006 (n° 53-4), p.106-127.
Jean Forget, Louis Libert, Édouard Menguy, Un demi-siècle à Saint-Servan, Dinard, Danclau, 1998.
Alain Gallet, Suzy Solidor, un étrange destin, documentaire.
(en) Tirza True Latimer, Women Together / Women Apart, Portraits of Lesbian Paris, Rutgers University Press, 2005, p.108.
Véronique Mortaigne, «Solidor, furieux baisers», Le Monde, no19 552 du mardi
Marie-Hélène Carbonel, Suzy Solidor: Une vie d'amours, Aubagne, Autres Temps, coll. "Temps mémoire", 2007, 352 p. (ISBN978-2-84521-295-4)
Marc Tardieu, Le corsaire de Rio: et autres histoires malouines. Saint-Malo: Grand West éditions, coll. "Grand West poche: récits historiques", 2013, 106 p. (ISBN978-2-35593-259-5)
Didier Eribon (dir.), Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, Larousse, 2003.
Charlotte Duthoo, Les Nuits Solidor: Mémoires imaginaires d'une égérie, Le Cherche midi, , 448p. (ISBN9782749171807).
Discographie
Martin Pénet (éd.), Chansons interlopes, 1906-1966, Labelchanson, 2006 (2CD)
Martin Pénet (éd.), Suzy Solidor au cabaret, enregistrements rares et inédits (1933-1963), Labelchanson, 2007
Documentaires
Alain Gallet, Suzy Solidor, un étrange destin, documentaire, 52 min, Aligal Production et France 3 Ouest (DVD).
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