Pierre Albert-Birot, né le à Angoulême et mort le à Paris 7e[2], est un poète, sculpteur, peintre, typographe et homme de théâtre français.
Pour les articles homonymes, voir Albert-Birot, Albert et Birot.
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Avant-gardiste invétéré pendant la Première Guerre mondiale, à travers la revue Sic (1916-1919) dont il est le fondateur et directeur, il s’est fait le défenseur du futurisme[3] et du cubisme[4]. Les dadaïstes le considéreront comme l’un des leurs, sans que lui-même y souscrive jamais[5]. Il se déclare fondateur de l’école « nunique » (de l’adverbe grec νῦν / nun, maintenant), école dont il est le seul maître, sans disciples. Se tenant après la guerre à l’écart des surréalistes auxquels il a pourtant, avec Guillaume Apollinaire, donné leur nom, il a construit une œuvre solipsiste et touche à tout, imprimant ses livres chez lui, cultivant la joie enfantine de la création artistique, ainsi qu’il l’écrit lui-même : « Je trouve ma joie dans la création poétique et je trouve ma joie dans les créations de mes mains. […] Tout cela, c’est du jeu, j’aime jouer, j’entretiens le gosse. »[6],[N 1]
S’il a été moqué par les surréalistes pour ses prétentions à s’illustrer dans de trop nombreux arts, décrié par Philippe Soupault comme un extravagant sans réel talent poétique[7], il s’est attiré les éloges et les amitiés de Max Jacob et d’Apollinaire. Plus tard, Gaston Bachelard louera la profondeur de ses vues philosophiques[8], et il marquera de son influence des poètes divers, tels Jean Follain, Pascal Pia[9], et jusqu'aujourd’hui Valérie Rouzeau[10].
Pierre Albert Birot (il n'a pas encore intégré son deuxième prénom à son nom) naît le à Angoulême. Sa mère, Marguerite, « brode, joue du piano et chante »[11]. Son père, Maurice Birot, « ne cesse de monter des affaires, mais guère solides »[11]. La famille passe ses étés non loin d'Angoulême, au château de Chalonnes[N 2]. Là, le jeune Albert-Birot, encore lycéen, monte un théâtre de marionnettes à gaines, écrit des pièces, invite le village à des représentations.
Le père ayant fait de mauvaises affaires, la famille quitte le château de Chalonnes et s'installe à Bordeaux. Pierre reçoit des leçons particulières de grec, et offre à son professeur « un porte cigares hors série en bois découpé exécuté par lui à l'aide d'une machine à pédale aussi grande qu'une machine à coudre »[11]. Dans la même année, son père quitte le domicile pour vivre avec une amie de sa femme. Se retrouvant sans ressource, Marguerite monte une pension familiale. Le domicile accueille alors de jeunes danseuses du théâtre voisin qui viennent habiter en location dans la chambre voisine de Pierre. Ce dernier les espionne, nues, par une fissure du mur[11]. La pension ne suffisant cependant pas à couvrir les besoins de la famille, elle s'installe fin 1892 à Paris. La mère s'y improvise couturière.
À Paris, Albert Birot âgé d'à peine seize ans fait la connaissance du sculpteur Georges Achard, qui le fait entrer à l’École des Beaux-Arts et le présente à Falguière[11]. Voulant se faire peintre, Albert-Birot rencontre à cette époque Gustave Moreau et Gérôme. C'est finalement la sculpture qui capte son intérêt : il quitte l’École des Beaux-Arts, travaille à la sculpture dans l'atelier de Georges Achard, rencontre Alfred Boucher. Dans l'atelier de ce dernier, un metteur au point italien lui apprend à réduire le marbre[12].
Ayant reçu une bourse de la ville d'Angoulême, il installe son atelier dans une cabane, boulevard du Montparnasse[11],[13]. Dans le même temps, il suit des cours à la Sorbonne et au Collège de France, notamment le cours de philosophie d'Alfred Espinas.
Il se met en ménage[N 3] en 1896 avec la sœur du peintre Georges Bottini, Marguerite, avec qui il a quatre enfants.
Il expose au salon des artistes français pour la première fois en 1900. Sept ans plus tard, sa sculpture La Veuve est achetée par l’État pour le cimetière d'Issy-les-Moulineaux dont elle est encore aujourd'hui le monument principal. À des fins alimentaires il sculpte des façades parisiennes (il s'en trouve de visibles autour du Champ-de-Mars et à Neuilly-sur-Seine). À partir de 1900, il travaille également comme restaurateur d'objets d'art chez une antiquaire, emploi qu'il conservera toute sa vie[N 4],[12] et qui lui fournira la matière de son roman Rémy Floche, employé.
Pendant l'année 1912, il fréquente les milieux espérantistes parisiens et écrit des poèmes en espéranto. C'est peut-être là[N 5] qu'il rencontre la musicienne Germaine de Surville.
La même année, il abandonne ses enfants. Ses filles entrent à l'Orphelinat des arts de Courbevoie, ses fils à la Fraternité artistique[14]. Il épouse Germaine en 1913.
Reformé pendant la Grande Guerre pour cause d'insuffisance respiratoire[12], Pierre Albert Birot va selon sa propre expression, « naître vraiment »[11],[15] à l'occasion de la création de la revue SIC (Sons Idées Couleurs, Formes), en 1916, moment où il endosse de marnière définitive son nom d'artiste, accolant son second prénom à son nom de famille.
Le titre de la revue, figuré par un SIC gravé sur bois encadré de deux F symétriques, a deux sens ; c'est d'abord le oui absolu latin, « volonté de s'opposer constructivement à la guerre négatrices des valeurs humaines »[12] et plus généralement, volonté « de s'affirmer lui-même par un acquiescement intégral au monde »[12], c'est enfin l'acronyme de son sous-titre « Sons Idées Couleurs, Formes », qui pour l'heure n'est que l'expression des multiples activités du couple Albert-Birot — Sons pour la musique de Germaine, Idées pour la poésie, Couleurs pour la peinture, et Formes pour la sculpture, de Pierre —, mais deviendra bientôt le mot d'ordre d'une « synthèse des arts modernistes. »[12].
Le numéro 1, vendu vingt centimes, paraît en janvier[16]. Pour l'heure, il a été intégralement rédigé et illustré par Pierre Albert-Birot. La publication détonne par son modernisme, surtout de la part d'un peintre et sculpteur formé par le traditionaliste Achard, d'un « poète adamique »[12] autodidacte qui n'a encore jamais côtoyé les avant-gardes. « Notre volonté : Agir. Prendre des initiatives, ne pas attendre qu'elle nous vienne d'outre-Rhin. »[16], tel est le premier des « Premiers Mots » affichés par SIC ; plus loin on lit cette affirmation de l'originalité comme condition de l'Art, « L'Art commence où finit l'imitation »[17], qui n'est pas sans faire penser, quoique dans une forme bien moins radicale, au rejet de Dada — qui ne viendra au monde qu'un mois plus tard à Zurich — de toute imitation et de la tradition littéraire et de la vie. Avec un mois d'avance, Albert-Birot n'est pas loin de l'affirmation vitaliste des dadaïstes de ne plus imiter la vie mais de créer de la vie[N 6].
Mais surtout, il faut voir dans la publication de ce premier numéro l'appel, la main tendue d'un artiste isolé à des milieux avant-gardistes desquels il est à la fois totalement inconnu et ignorant. Lorsqu'il y moque Claudel en le qualifiant de « beau poète d'avant-hier », et poursuivant par « je voudrais bien faire la connaissance d'un poète d'aujourd'hui »[16], il faut prendre à la lettre cette dernière affirmation.
Celui qui répond le premier à cet appel, et par qui Albert-Birot « qui ne connaissait personne, [va] en quelques mois connaître tout le monde »[12], est le peintre futuriste Gino Severini. Albert-Birot et Severini donnent deux versions contradictoires de leur rencontre. Selon le premier, ils avaient leur atelier dans le même immeuble, leurs femmes respectives qui se rencontrèrent tout d'abord, et c'est par leur intermédiaire que Severini put tenir le premier numéro de SIC dans ses mains[18]. Selon le peintre futuriste, la rencontre eut lieu au vernissage de la Première exposition d'Art plastique de la Guerre et d'autres œuvres antérieures qu'il fit à la galerie Boutet de Monvel du au [19]. Quoi qu'il en fût, les deux artistes deviennent alors « très amis »[19] et Severini offre une reproduction de son Train arrivant à Paris pour le deuxième numéro de Sic[20]. Sous l'impulsion de Severini, Sic rejoint définitivement l'avant-garde, ainsi que l'explique Albert-Birot :
Le second numéro, publié en février, consacré au futurisme, fait le compte-rendu de l'exposition de Severini. Albert-Birot y écrit : « Le tableau jusqu’alors fraction de l’étendue devient avec le futurisme fraction du temps. »[3]
Grâce à Severini, Albert-Birot fait la connaissance d'Apollinaire et entre ainsi dans la vie artistique parisienne. Apollinaire a ses mardis au Café de Flore ; SIC ses samedis, rue de la Tombe-Issoire, où dès sa sortie d'hôpital Apollinaire vient et amène ses amis : André Salmon, Reverdy, Serge Férat, Roch Grey, Max Jacob, Modigliani, Cendrars[12]. Les samedis seront aussi fréquentés par les peintres d'origine russe Alexandre Orloff, Léopold Survage, Ossip Zadkine, et les très jeunes Aragon, Soupault, Raymond Radiguet. Autant de collaborateurs pour les cinquante-quatre numéros de SIC.
Ouverte à toutes les avant-gardes, la revue joue pendant les quatre années de sa parution un rôle de premier plan quant à la création artistique de l'époque. Forte des contributions d'Apollinaire qui lui offre plusieurs poèmes inédits dont « l'Avenir » dès le numéro 4[21], elle s'enrichit des contributions des sympathisants du cubisme : poèmes de Reverdy, estampes de Serge Férat, et rend compte d'une exposition du fauviste André Derain. Elle sert aussi largement de tribune parisienne aux futuristes, et accueille les textes de Severini, Luciano Folgore et Gino Cantarelli, les estampes de Depero, Prampolini et Giacomo Balla, ainsi que les partitions de Pratella. En outre, Philippe Soupault y publie ses premiers poèmes, dont son tout premier, qu'il avait envoyé à Apollinaire, Départ, sous le pseudonyme de Philippe Verneuil dans le numéro 15[22]. Louis Aragon (en tant que critique), Pierre Drieu la Rochelle et Raymond Radiguet y font également leurs premiers pas[23],[24]. Enfin, SIC n'a pas peur[N 7] de se rapprocher des dadaïstes zurichois, et Tzara y trouve, ainsi que dans Nord-Sud au même moment, le terrain de ses premières publications en France[N 8]. Dans le même temps, Pierre Albert-Birot collabore aux deuxième et troisième numéros de Dada[25],[26], la revue de Tzara.
SIC est également un succès éditorial, avec une fréquence de publication régulière et soutenue (mensuelle pendant toute l'année 1916), et d'une longévité exceptionnelle comparée aux autres revues d'avant-garde de l'époque[27] SIC se distingue de sa principale concurrente, Nord-Sud de Pierre Reverdy, en ce qu'elle n'est financée que par ses lecteurs quand Nord-Sud est financée par le mécène Jacques Doucet. Porté, donc, par son succès, Albert-Birot quitte son premier imprimeur Rirachovsky en contre un plus onéreux : Levé. Premier à en bénéficier, le numéro 12 de SIC contient le célèbre calligramme d'Apollinaire « Il pleut »[28], chef-d'œuvre typographique accompli par Levé en une nuit[12].
Malgré son succès, Pierre Albert-Birot est néanmoins sujet aux moqueries de ceux qui deviendront les surréalistes. Théodore Fraenkel, pour moquer tout à la fois SIC, Cocteau, et Albert-Birot, envoie à la revue un poème titré « Restaurants de nuit » et signé Cocteau ; en acrostiche, on peut lire « Pauvre Birot »[29]. N'y voyant que du feu, Albert-Birot publie le faux dans le numéro 17.
La revue prendra fin avec l'année 1919. En mai de la même année, André Breton, Philippe Soupault, et Louis Aragon fondent la revue Littérature, si à ce moment-là Albert-Birot ne perd que la collaboration d'Aragon, un an plus tard Littérature se radicalise en épousant définitivement la cause du mouvement Dada. Albert-Birot apparaît de moins en moins en phase avec le dogmatisme intransigeant de Dada et du surréalisme qui vont alors prendre le devant de la scène avant-gardiste, lui qui, au contraire, a toujours refusé de s'affilier à quelque école ou quelque mouvement que ce soit, et dont l'ambition avec SIC était d'opérer une synthèse de tous les arts modernistes[12].
Dès leur première rencontre, organisée par Severini, en juillet 1916 alors qu'Apollinaire est convalescent à l'hôpital italien de Paris, Albert-Birot lui demande d'écrire une pièce qu'il mettrait en scène, avec pour mot d'ordre l'idée d'un théâtre non-réaliste. Apollinaire propose de la sous-titrer « drame surnaturaliste » ; avec Albert-Birot qui veut éviter un rapprochement avec l'école naturaliste ou l'évocation du surnaturel, ils s'entendent sur le mot « sur-réaliste ». La pièce, Les Mamelles de Tirésias, est créée au conservatoire Maubel le . La musique est de Germaine Albert-Birot, les décors du peintre cubiste Serge Férat, les costumes d'Irène Lagut. Dans l'idée d'un abandon du réalisme référentiel, des masques sont utilisés. « On vend aux spectateurs un programme orné d'un dessin de Picasso et d'un bois de Matisse »[11].
Après un prologue où le personnage du directeur de troupe proclame « On tente ici d’infuser un esprit nouveau au théâtre », la pièce nous amène au Zanzibar, pays en manque d'enfant, allégorie de la France en guerre. L'héroïne Thérèse après une série de proclamations féministes avant l'heure, fait savoir qu'elle refuse son devoir de procréation, et se choisit un nom d'homme, Tirésias. Ses attributs féminins, deux ballons de baudruche, se détachent de son corsage et s’envolent dans les airs, cependant que la barbe lui pousse. Elle oblige ensuite son mari à se travestir et lui laisse le soin de procréer à son tour. Ce dernier met au monde 40 050 bébés en un jour. Dans le second acte, Thérèse revient sur sa décision et promet de donner naissance à deux fois plus d'enfants que son mari. La création de l'œuvre se fait dans des conditions incertaines à cause du contexte de guerre. Le budget est réduit, le décor en papier. Les seins de Thérèse s'envolant devaient être représentés par des ballons gonflés à l'hélium, le gaz étant réservé à l'armée, on se contente de balles de tissu pressé. Le metteur en scène manque également de subir un désistement d'acteur de dernière minute, tandis qu'en l'absence de musiciens, la musique de Germaine ne peut être jouée. Finalement, un seul pianiste, se chargeant également de bruitage, se charge de son exécution. La pièce qui fait salle comble, à sa représentation, a un avant-goût de soirée Dada : déjà, par les réactions passionnés, le spectacle est autant sur scène que dans le public. « Les journalistes [...] crient au scandale. [...] La pièce se termine dans un tohu-bohu indescriptible. »[14] Autre incident, Jacques Vaché, accompagné de Théodore Fraenkel, menace la salle d'un revolver[14]. Plus tard, Albert-Birot dira douter de la véracité de cette anecdote[12].
La pièce s'attire les foudres de la presse, qui se déchaîne autant contre Apollinaire que contre Albert-Birot. Elle fait en outre s'éloigner d'Apollinaire plusieurs cubistes, Juan Gris en tête. Le jeune Aragon, en revanche, pressé par Albert-Birot[12], fait un compte-rendu élogieux dans SIC[30].
La même année, Albert-Birot publie son premier recueil, 31 poèmes de poche, préfacé par Apollinaire. Ce dernier qualifie Albert-Birot de « pyrogène ».
Apollinaire meurt malheureusement l'année suivante, et l'expérience des Mamelles de Tirésias ne pourra pas à être réitérée. À ce sujet Geneviève Latour fait part de cette réflexion : « Si les Parques n’en avaient ainsi décidé, sans doute la collaboration d’Apollinaire et d’Albert-Birot aurait été pour le théâtre une source de richesse et de grands succès. »[14]
En janvier de l'année qui suit, Albert-Birot consacre un triple numéro de SIC consacré à la mémoire d'Apollinaire, et réunit ainsi les hommages funèbres de Roger Allard, Louis Aragon, André Billy, Blaise Cendrars, Jean Cocteau, Paul Dermée, Max Jacob, Irène Lagut, Pierre Reverdy, Jules Romains, André Salmon, Tristan Tzara, etc. Sa propre oraison est titrée Ma main amie[31].
Après la guerre, on doit déjà à Pierre Albert-Birot des sculptures, des œuvres plastiques figuratives et abstraites, des activités des poètes et d'homme de théâtre. C'est à ses deux dernières activités qu'il va se vouer presque entièrement à partir de 1918. En 1922 il achète un matériel d’imprimerie pour tirer ses propres œuvres. Le poète devenu typographe fait entrer la poésie, comme Apollinaire avec ses calligrammes, dans le domaine du pictural. On lui doit l'invention du "poème-pancarte" et du "poème-paysage".
De 1918 à 1924 il publie aux Editions Sic, Matoum et Tevibar, drame pour marionnettes, Larountala, polydrame, Le Bon Dieu, et Les Femmes pliantes, drames comiques. Autant de pièces anti-réalistes, Matoum et Tevibar sont des poètes de la planète Mars, dans Les Femmes pliantes les Vénusiens utilisent le soleil comme support d'une réclame pour des femmes qu'on peut glisser dans une poche ou un tiroir quand elles deviennent encombrantes. Dans le même temps, Albert-Birot fait la rencontre d'une famille foraine, les Walton's, qui crée Le Petit Poucet en 1923 au Théâtre des Champs-Élysées.
En 1929, il fonde le Théâtre du Plateau. Il y monte, avec le comédien Roger Roussot, ses pièces Matoum et Tevibar et Barbe Bleue, réécriture dramatique du conte de Charles Perrault. Il s'attire à cette occasion l'admiration de Louis Jouvet, Gaston Baty et Charles Dullin qui qualifie Les Femmes pliantes de pièce-école.
C'est également l'époque d'une grande créativité poétique, où il donne libre cours à sa maîtrise et du vers métré et rimé, et du vers libre, et du verset, et du poème typographique (qu'il nommera parfois « idéographique »), — ou encore de ce qu'il nomme « poème à crier et à danser » — ; il publie coup sur coup trois recueils, qui peuvent reprendre des poèmes déjà parus dans Sic : La Joie des sept couleurs dans lequel il chante la lumière, « son épouse », La Lune, recueil dans lequel on trouve l'art poétique « Aux jeunes poètes, poème genre didactique » (paru pour la première fois en janvier 1918 dans le vingt-cinquième numéro de Sic) et Poèmes à l'autre Moi, recueil qu'il considère comme le plus important de son œuvre poétique[12].
Germaine Albert-Birot meurt en 1931[32], et le poète de la lumière se voit contraint d'endosser les habits du deuil. Il écrit et imprime sans nom d'auteur trente exemplaires d'un recueil de poèmes funèbres qu'il se dédie à lui-même: Ma morte, poème sentimental. Quatre "G", en guise d'armoiries, ornent chaque page. Selon le témoignage de son ami Jean Follain (qu'il rencontre en 1933 et qui devient l'une de ses rares fréquentations avec le peintre Serge Férat, la romancière Roch Grey et Roger Roussot) le poète veuf se retire dans un logis étroit rue du Départ, refuse les fraternités littéraires, et imprime ses livres, à l'aide de sa machine à levier placée dans sa chambre, leur donnant la seule publicité de les déposer à la Bibliothèque nationale. Après Ma Morte en 1931 et un silence de six ans, on peut citer Le Cycle des poèmes de l'année, en 1937, le recueil élégiaque Âmenpeine en 1938, et La Panthère noire, la même année. Il passe une bonne partie de son temps à écouter la radio au casque sur un vieil appareil à galène. Le soir, il dîne seul, pauvrement.
C'est cependant au-même moment, à partir de 1933, que Jean Follain l'amène à réunir ses anciens amis chaque quinzaine autour de dîners dits Grabinoulor, du nom de l'épopée dont l'écriture occupera toute sa vie, du nom aussi du personnage éponyme, double littéraire d'Albert-Birot. Grabinoulor est un vaste projet commencé dès 1918, année où par ailleurs un premier extrait a été publié dans le trentième numéro de Sic. Le repas Grabinoulor[N 9], où l'on lit des pages de l'épopée, a lieu dans un restaurant rue des Canettes, et les livres qu'Albert-Birot imprime à cette époque-là porteront la mention "Editions des Canettes"[33].
En 1933, grâce à la recommandation de Jean Paulhan, Robert Denoël consent à publier une première version du Grabinoulor, qui en est à deux livres (il en comptera six, une fois achevé).
Une nouvelle vie commence pour Pierre Albert-Birot en 1955, date à laquelle il rencontre Arlette Lafont, une sorbonnarde qui voulait recueillir son témoignage sur Roch Grey. Elle devient sa femme en 1962, et par ses efforts, contribuera à faire sortir l'œuvre de son mari de l'oubli. Il lui dédie en 1956, son recueil Le Train bleu écrit en 1953, avec ce mot :
Le « train bleu » est dans la petite mythologie personnelle d'Albert-Birot une allégorie qu'il a déjà utilisée de la mort. Le recueil est composé principalement de poèmes en versets, méditations sur le temps, la vieillesse et la mort, et cependant toujours portées par l'humour loufoque propre à son auteur. Ainsi, Pascal Pia aura pu dire qu'« Albert-Birot [...] n'a mis de point de final à rien. Il n'était pas enclin à la rupture. Les épreuves, si sévères qu'elles fussent, ne l'abattaient pas, ni ne le faisaient changer de ton. Les chants de son crépuscule ont le même tour familier que les poèmes de ses débuts. »[34] En 1965, grâce aux efforts d'Arlette, Gallimard publie un Grabinoulor augmenté mais incomplet. Un bandeau n'hésite pas à le présenter comme « un classique du surréalisme » à l'étonnement, et même la colère[35], d'Albert-Birot qui n'a jamais fait partie du groupe, ni signé aucun manifeste et jamais participé à aucune des manifestations. En 1966, il déclare qu'il n'était pas « attiré par les arcanes et le fantastique du surréalisme, par ses visions freudiennes »[36]. La pièce, à laquelle l'auteur a mis son point final en 1963 — le seul point de toute l'œuvre —, n'est publiée sous la forme complète des Six livres de Grabinoulor qu'en 1991 par Jean-Michel Place.
Pierre Albert-Birot meurt le . Sur son faire-part de décès, Arlette fait figurer un vers de la Panthère noire[37] :
Arlette Albert-Birot